Quelques mots sur... les agressions non dénoncées
(Réflexions entourant les révélations liées à l'agression de Catherine Fournier)
Je voudrais revenir calmement sur les révélations liées à l'agression de Catherine Fournier. Je dis calmement parce que mercredi matin j'ai impulsivement pondu un tweet mal avisé dont je ne suis pas fière et que j'ai effacé aussitôt, mais quand même, ça m’achale. (Ne me demandez pas ce que c’était, vous allez gaspiller votre temps.)
Je sais fort bien pourquoi je l'ai fait. J’étais aveuglée par la colère et le ressentiment envers les agresseurs de ce monde et ceux qui leur couvrent le cul. J'ai tweeté de ma position de femme ayant subi de multiples agressions sexuelles aux mains de différents agresseurs.
Et aussi de femme ayant été harcelée sexuellement lors de son bref passage en politique, qui a dénoncé aux instances du parti, qu'on n'a pas écouté, et qui a vu le responsable continuer sa carrière comme si de rien n'était, sans aucune espèce de conséquence.
Or ce n'est pas cela qui s'est produit pour Harold Lebel (bien qu'il soit déjà en liberté conditionnelle et j'en aurais long à dire là-dessus), mais je vais tenter de rester sur la track de ce que j’essaie de communiquer aujourd’hui.
Donc, à grosso modo une décennie d'intervalle, entre ce qui m’est arrivé et ce qui est arrivé à Catherine Fournier, le monde politique, et le monde tout court, a changé. Il y a eu #AgressionsNonDénoncées, puis les différentes vagues #MoiAussi.
Michel Venne, Harold Lebel et André Boisclair auraient-ils été condamnés il y a 10 ans ? Permettez-moi d’en douter. Après tout, vous souvenez-vous du procès remporté par Jian Ghomeshi ? C’était en 2016, aussi bien dire hier.
Indubitablement, le monde a depuis changé. Et même qu’il s’agit d’un revirement révolutionnaire.
Or chaque révolution vient avec son lot d’effets pervers.
Catherine Fournier a admis ne pas avoir dénoncé dans un premier temps pour éviter de faire de vagues. Elle savait pertinemment que, contrairement au temps d’avant #MeToo, sa dénonciation à elle ne serait pas enfouie sous le tapis. Elle se doutait fort bien d’à quel point même cela en ferait, des vagues. Et bien entendu ce fut le cas.
Passer de ne pas être entendue à devenir carrément le point de mire, difficile de conclure qu’il s’agit d’une nette amélioration. Cela me semble humainement éprouvant, dans les deux cas.
Mais, de manière plus large, sur le plan du bien commun, je concède qu’il s’agit d’une avancée, d’une bonification de notre sort collectif.
Les condamnations hautement médiatisées auront, je l’espère, non seulement un effet dissuasif sur les agresseurs potentiels, mais aussi puissent-elles contribuer à la vaste prise de conscience collective en cours.
C’est en effet mon souhait le plus cher que le changement des mentalités en cours influe sur l’éducation des enfants (plus particulièrement les garçons), sur ce qu’ils absorbent par osmose dans la culture populaire.
Ça, ce serait une théorie du ruissellement fondée.
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En matière d’évolution des mentalités, je m'accroche à tout ce que je peux.
Comme le fait que désormais notre société reconnaît que polytechnique était un féminicide de masse. Et que cela soit même nommé et représenté dans des œuvres de fiction populaire. Par exemple dans l'excellente série Désobéir portant sur le combat de Chantal Daigle et des groupes féministes pour la décriminalisation de l’avortement au Canada.
Cette évolution, je l’entends aussi quand j'écoute l'important balado You Must Remember This, plus particulièrement la présente saison (The Erotic Nineties). Les deux plus récents épisodes, extrêmement percutants, portent sur les abus de Clint Eastwood, puis la réception critique du film Thelma et Louise, et sont extrêmement révélateurs de la fin d’une espèce d’omerta hollywoodienne.
Je suis soulagée de voir admises dans la culture populaire des évidences pour lesquelles il fallait néanmoins encore se battre il n’y a pas si longtemps.
Ces avancées sont des petites lueurs dans la nuit dans laquelle nous sommes plongés actuellement, avec tous ces haut-parleurs d'extrême droite qui crachent sur toutes les différences. Oh je la vois la montée de l'intolérance et je ne trouve pas qu'il fait bon vivre en 2023.
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Alors voilà, quand je vois une courageuse comme Catherine Fournier, qui était une jeune très jeune femme, et une newbie de la politique, lorsqu'elle a été agressée, trouver le courage trois ans plus tard de dénoncer ; quand je vois où elle est rendue aujourd'hui, oui, cela force l'admiration. Même chose pour Léa Clairemont-Dion, d’ailleurs.
Et je marche sur des œufs en écrivant cela, en tant que personne ayant subi des agressions sexuelles, sans toutefois trouver le courage de les dénoncer à la police.
Tout ça est tellement délicat...
Je suis d'une part admirative de la démarche et du courage de ces battantes, je me joins sincèrement au concert d’éloges. Dénoncer, c’est ce qu’on nous encourage à faire. C’est ce qui s’inscrit dans le narratif idéal : elle dénonça et fit triompher la justice. Ainsi soit-il. La classe médiatique applaudit.
« J’ai commencé à me sentir vraiment mal dans ma peau en me disant que si moi je ne dis rien [sur mon agression], et en plus j’étais sur toutes les tribunes à inviter les gens à dénoncer [...], je ne veux pas avoir ça sur la conscience », a déclaré Catherine Fournier en cour.
Elle n’a pas tort.
Puis, je pense à celles qui, comme moi, n'ont pas trouvé la force et les ressources intérieures pour enclencher une telle démarche, pour toutes sortes de raisons.
Et je file un sapré mauvais coton.
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Pendant ce temps, la vaste majorité des agresseurs rient dans leur barbe et continuent leur vie, comme si de rien n’était.
Parfois sans même prendre conscience de leurs torts, soit pour cause de déni/refoulement profond, ou encore d’ignorance et de bêtise crasse.
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Certains jours, certaines semaines, il va sans dire, je crisserais le feu à toute.
Merci pour ce texte courageux. Tu n'as certainement rien à te reprocher (au cas où). Et j'ajouterais même que tu peux ben crisser des feu partout. Je me sens souvent de même....
tout commence par l'incompréhension, la rage, la colère. On transforme en énergie autre? des fois on y arrive
Pas évident de les transformer. Perso, c'est dans un parti politique que j'avais commencé à m'impliquer entre 16 et 25 ans ainsi que pour l'avancement de la cause féminine et l'environnement. J'étais tellement tannée de revirer des gars (mon'oncles en fait je dirais) de bord, que c'était constamment présent, mais vraiment tout le temps! jusqu'à devoir mettre ma main sur la gueule de certains, les repousser physiquement, de devoir éviter d'être seule, les réunions trop arrosées, de moi ne jamais boire ''au cas'', les parties, de ne pas recevoir chez moi, etc etc. que j'ai été me faire voir et militer ailleurs et tant pour la cause de l'avancement des femmes que pour l'environnement dans mon cas. Dommage pour la politique partisane! C'était juste un ''no go'' à cause de trop de comportements de cromagnon. Je te comprends tant d'être fâchée que déçue. Je ne me suis pas gênée à l'époque pour traiter les mon oncles de mononcles gossants, déplacés et de le dire pourquoi je ne voulais pas participer. de me faire respecter aussi par un comportement ''professionnel'' et correct. ça m'enrage encore aujourd'hui d'avoir été tellement achalée au point de trouver d'autres façons de m'impliquer! Que moi j'ai du éviter des situations plutôt qu'eux changer et se comporter de façon civilisée! Ils ont fini pour certains par le faire, non sans avoir tasser en chemin une couple de personnes qui en avaient ras le ponpon, tant des hommes solidaires que des femmes qui voulaient se faire respecter. Le cri primal, les marches dans le bois, la poésie et d'avoir possiblement réussi ''quand même'' à faire changer et évoluer des patentes, aider les plus jeunes, ceux qui viennent et viendront après apporte un baume mais pas l'apaisement complet, ni jamais la paix totale d'esprit. Merci pour ce mot. Et bonne guérison, parce que c'est un processus oui je pense!