J’ai skippé le mois de février, qui a filé comme l’éclair. Entre deux bancs de neige et la finalisation de mon manuscrit à remettre, j’étais, comme on dit, dans le jus. Sans compter que j’ai commencé à la mi-janvier un nouvel emploi à la bibliothèque de Saint-Michel et il y a tellement de choses à apprendre : les systèmes de classement, les prêts interbibliothèques, les tâches à prioriser, les logiciels pour bien servir les abonné·es, etc.
L’automne dernier, alors que j’étais en résidence à la Maison de la littérature à Québec, j’étais allée prendre un café avec l’amie Valérie Forgues, poète, écrivaine, éditrice... et femme qui travaille en bibliothèque depuis de nombreuses années. C’est elle qui m’avait mis la puce à l’oreille : «Y as-tu déjà pensé? Parce que ça se marie vraiment bien à une carrière d’autrice.»
Bizarrement, la réponse était non, je n’y avais jamais vraiment songé.
En plus, la bibliothèque de Saint-Michel, c'est un milieu tellement riche, multiculturel, situé en plein cœur du petit Maghreb.
C’est un point de rencontre pour plein de nouveaux et nouvelles arrivant·es, pour beaucoup de personnes en processus de francisation.
C’est aussi un lieu de bonheur pour des hordes de tout·es-petit·es des CPE, qui viennent, entre autres, pour l'heure du conte; un rare endroit où trainer pour les élèves de l'école secondaire François-Perrault tout à côté; et où s’amuser en apprenant pour les enfants des écoles primaires des environs, celleux-là même qui affectionnent tout particulièrement «les livres qui font peur», les échecs, les jeux de société...
Quelques jours par semaine, nous partons en camion, moi et d'autres, à la rencontre de petit·es lecteurices dans les parcs de l'arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, ou dans certains organismes, comme à La maison d'Haïti. D'ailleurs, j'ai hâte de voir ça l'été parce qu'on va pouvoir s'installer dehors et il paraît que c'est très animé!
J'en aurais tellement à vous raconter sur ma vie à la bibli... Des petits moments agréables comme celui passé avec un garçon de 6 ou 7 ans, trop mignon, qui m'a demandé si j'avais des livres de «Spideuremane», «pour voir si ça m’intéresse». Je suis allée me promener avec lui dans les rayons pour lui montrer chacune de nos BD mettant en vedette l'homme-araignée. Chaque fois, après avoir inspecté l’ouvrage en adoptant un air très sérieux, il m’annonçait, presque solennel : «humm oui, ça m'intéresse.»
De toutes les choses que j’aime du travail en bibliothèque, c’est l’une de mes préférées, le contact avec les enfants, qui vous rendent au centuple tout ce que vous leur donnez.
Je ne suis peut-être pas mère, mais je suis heureuse de pouvoir prendre soin de toustes ces jeunes qui viennent à la bibliothèque. Même les préados, même cette jeune fille qui s’apprêtait à dévaler les paliers d'escalier qui séparent les étages des bibliothèque jeunes et adultes avec ses longuissimes lacets d’espadrilles tout détachés. Je l'ai arrêtée à temps et lui ai demandé de les attacher. Elle a soupiré longuement en envoyant théâtralement sa tête vers l’arrière, une authentique tragédienne, avant d’attacher un seul de ses souliers. Elle était prête à repartir. Il a fallu que je spécifie «LES DEUX».
Ça me fait bien rire, les enfants et leur loi du moindre effort.
Parfois, je me dis que je devrais m’en inspirer un peu, moi la perfectionniste-workaholic...
Ce qui est plaisant aussi en bibliothèque, en plus de côtoyer tous ces jeunes, et ces beaux bébés, naissants ou joufflus, et une marée de petits «todler» (les «terible two» sont les seuls dictateurs que j'apprécie — masculin volontaire), c'est de voir les livres des ami·es écrivain·es circuler, être empruntés, puis rapportés, puis partir en voyage vers une autre bibliothèque.
Souvent, je prends une photo.









Bon, dire que je viens de vous écrire une pas pire longue missive alors je devais plutôt rédiger ma deuxième chronique de l’année pour le magazine Châtelaine.
Oh! Ça va, je suis encore dans les temps. (Je n’ai jamais remis un article en retard, je ne survivrais pas à la honte du devoir non accompli.)
D’ailleurs, mon premier texte de l’année, lui, se trouvera sous peu dans l’édition du printemps du magazine, qui paraîtra dans une dizaine de jours.
J’y reviens sur un thème inépuisable, qu’on avait exploré en gagne il y a quatre ans dans le collectif 11 brefs essais sur la beauté.
J’espère bien que ce numéro printanier de Châtelaine se retrouvera entre quelques-unes de vos mains.
Allez, je vous glisse un extrait de ma chronique, pour le plaisir :
«Je sens que j’évolue, tranquillement. Je suis fière de voguer vers mes 45 printemps, d’être encore vivante, contrairement aux amies que j’ai perdues en chemin. J’ai moins peur de vieillir qu’avant. J’ai même hâte d’avoir les cheveux poivre et sel. Quand je regarde ma repousse, je trouve qu’elle manque de gris.
En fait, mes appréhensions se sont déplacées. Par exemple, j’ai pris rendez-vous avec un kinésiologue, pour devenir forte et souple. J’investis temps et argent dans mon autonomie corporelle pour ma vieillesse à venir.»
Journée internationale des droits des femmes 2025
J'ai été agréablement surprise en visionnant le plus récent épisode d’Infoman de constater que l'appellation correcte — Journée internationale des droits des femmes — est entrée dans l'usage commun. Ça m'a réjouie... et c'est à peu près tout ce qui donnait matière à se réjouir en ce 8 mars.
Bravo à celleux qui ont marché vêtu·es de rouge; j'aurais aimé être des vôtres, mais je travaille à la bibliothèque tous les samedis, là où j'essaie, à ma manière et à mon échelle, d'améliorer le sort de filles et de femmes (je me console en me disant que chaque geste compte et que la lecture n’est pas des moindres...).
Sinon, je vous renvoie au bilan qu’a dressé Eli San sur Facebook, je trouve que son texte résume bien la situation. Extrait :
Encore un 8 mars divisé.
Divisé parce que d’un bord, les femmes se mobilisent de plus en plus (vous étiez belles, hier!) ; elles se regroupent, répondent aux appels lancés et se trouvent des porte-paroles pour revendiquer plus solidement ce qui leur revient de droit. Pendant que de l’autre bord, les forces politiques et le marketing arrachent au 8 mars ses luttes intrinsèques.
On ne doit jamais oublier à quel point le côté qui pousse pour le statu quo est puissant, et je ne pense pas seulement à Google qui supprime la 𝑱𝒐𝒖𝒓𝒏𝒆́𝒆 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒓𝒏𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏𝒂𝒍𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒅𝒓𝒐𝒊𝒕𝒔 𝒅𝒆𝒔 𝒇𝒆𝒎𝒎𝒆𝒔 de son agenda en écrivant ça. Au Québec aussi, les mêmes dynamiques sont en place.
Paul St-Pierre Plamondon, qui sera vraisemblablement notre prochain Premier ministre, a résumé la situation actuelle par « un contexte mondial troublé, une montée de l’intégrisme religieux et des données québécoises inacceptables en matière de violence conjugale et de féminicides ».
Un contexte mondial, comme si le Québec n’avait pas ses propres forces de droite. Une montée de l’intégrisme religieux, comme si les hommes pratiquants étaient plus misogynes que les masculinistes blancs, cis et hétéros. Des données terribles en violence conjugale et en féminicides, comme si ces phénomènes n’étaient que des chiffres dissociables de leurs victimes, et que la violence n’était aucunement provoquée par les discours réactionnaires martelés dans la sphère médiatique.
« Célébrons » le 8 mars, mais en extirpant son essence, donc [...]
Je voudrais par ailleurs remercier la bibliothèque de La Petite-Patrie qui, pour la Journée internationale des droits des femmes, a mis en ligne une publication présentant des livres à lire, notamment le collectif Libérer la colère et l'essai Les engagements ordinaires des Mélikah Abdelmoumen, et aussi mon petit livre jaune, Solitudes une décennie de réflexions féministes. Merci pour ça!
Merci aussi à la bibliothèque Mordecai-Richler d'avoir mis Solitudes (et plein de livres très cool) en vitrine durant le mois de février, ce sont des attentions qui font extrêmement plaisir!
En terminant, merci à Maudits Français, un média dont j’ignorais l’existence, qui s’adresse aux Français vivant au Québec, et qui a également suggéré Solitudes à son lectorat pour le 8 mars 2025 (en plus de l’infolettre que vous lisez présentement). 🙏
Sur ce, bon mois de mars à toustes, tenez bon!