Quelques mots sur... mes aventures littéraires automnales ?
RENCONTRE
Le printemps dernier, j’ai eu le privilège de rencontrer l’écrivaine Mikella Nicol pour un tête-à-tête en vue de la rédaction d’un long texte autour de son œuvre pour la revue Collections.
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Collections, c’est la revue publiée par l’ANEL (l’association nationale des éditeurs de livres), qui sert notamment — si j’ai bien saisi — à amadouer les bibliothécaires responsables de garnir leurs rayons ainsi qu’à faire rayonner la littérature québécoise auprès du public européen. Pour moi, c’est tout bon, tout noble, d’œuvrer à ce que la littérature d’ici se taille une place parmi la robuste production étrangère. Même si ça va mieux depuis l’avènement de la journée du 12 août, dont l’impact se fait désormais sentir à l’année, il ne faut pas s’assoir sur nos lauriers...
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Donc, ç’a été une fascinante rencontre. La semaine la précédente, je m’étais plongée dans les trois livres de Mikella, deux romans — Les filles bleues de l’été et Aphélie — ainsi que Mise en forme, son plus récent livre hybride, un mélange entre récit et essai. J’étais totalement imprégnée et ç’a donné une conversation fluide, naturelle, dense. Pas de tataouinage, on a jasé de féminisme (évidemment), de l’obsession du corps, de la beauté, des doubles standards et j’en passe, son œuvre regorgeant de thèmes qui me sont chers.
En voici un extrait :
La forme de ton dernier livre m’intrigue. Pourquoi un « récit documentaire », par ailleurs extrêmement fouillé ?
C’est un livre auquel je réfléchis depuis 2018. Je n’avais pas de porte d’entrée par la fiction ; je n’étais pas capable de trouver comment m’y prendre. Peut-être étais-je trop proche du sujet, qu’il appelait trop à la confession ? Ça m’a pris du temps, j’avais beaucoup de réticence.
Qu’est-ce qui t’a décidée ?
Je voulais confirmer des intuitions. La toute première était de déconstruire le discours selon lequel faire de l’exercice aide à se sortir de la dépression. Une partie est forcément vraie, les hormones et tout ça, c’est prouvé, mais la façon dont les femmes font du sport, le plus souvent, c’est le fitness. Pour la majorité, le rapport à l’entraînement physique revient toujours à la mise en forme. Or mon intuition c’était que cela n’allait pas m’aider à me sortir de mon état, au contraire même. Alors j’ai lu des textes scientifiques de philosophes du sport et de chercheuses et j’ai effectivement trouvé beaucoup d’informations sur les troubles de l’image et la dépression, ainsi que la dysmorphie corporelle qui découle en partie de l’entraînement.
Donc, l’idée de bouger pour aller mieux, c’est un mensonge ? Ou, à tout le moins, il y a des non-dits ?
Disons que c’est un point aveugle. Quand on parle des bienfaits scientifiquement documentés de l’exercice physique, il faut se rappeler que la plupart des études prennent la perspective masculine. C’est un peu la même chose avec la recherche sur les médicaments; pendant longtemps, ils n’étaient que testés sur des hommes. On se fait dire des choses [sur le fitness], mais, dans la réalité, je ne sais pas à quel point regarder des filles faire de l’exercice en petit top de sport peut nous aider… Ou, en tout cas, il faut vraiment être capable d’un super détachement pour ne pas absorber le monde dans lequel on vit, ce que je suis incapable de faire. [...]
Vous pouvez lire l’article au complet ici.
RITE DE PASSAGE
C’est le mardi 3 octobre que ça se passe! C’est le lancement de mon livre Une détresse contrôlée dans mon hood Hochelagais. On fait ça à mon bar de quartier, le pub L’espace public, sur la rue Ontario. On sera là à compter de 17h.
Je souhaitais un événement très informel, alors n'hésitez pas à juste passer boire une pinte ou encore carrément rester toute la soirée pour faire la fête, c'est vraiment comme vous voulez !
J’espère sincèrement vous y voir ; un sourire, un hug, une salutation timide au loin de la main, tout cela est précieux quand on lance un livre, un moment tellement vertigineux...
GRATITUDE
D’ailleurs, ce livre, sans exister encore physiquement dans le mode, a trouvé son chemin vers le numéro de la rentrée de la Revue des libraires; merci beaucoup pour ça!
Vous pouvez lire le numéro au complet ici.
AFFLICTION
C'est vrai, il y a une part d’excitation à sortir un livre, lancer sa création dans le monde. Mais il y a autre chose, dont je ne vous ai pas parlé. Ce livre, il m’a privée de nombreuses nuits de sommeil, et plus encore depuis que je sais qu'il sort tout bientôt.
Ce fut non seulement un «accouchement» difficile, un manuscrit que j'ai écrit et réécrit sur plusieurs années, mais je vis en ce moment une énorme attaque d'anxiété pré-sortie, en plus d'un sentiment d'épuisement.
Cet épuisement, du reste, je le partage avec Mikella Nicol ; il en a justement été question dans notre entretien (elle répond ici à ma question «Penses-tu écrire d’autres livres ?») :
«J’espère en avoir l’impulsion encore un jour, mais, pour l’instant, je suis très contente de ne pas écrire. Je n’ai pas besoin que ce soit souvent parce que ça me tue. On dirait que je me sens coupable d’avoir besoin de le faire; je me demande "pourquoi je prends cette place-là ?". Et puis quand je dis "ça me tue", c’est que ma santé mentale est toujours inexistante quand je termine un livre. Ce qui est dur aussi dans écrire, c’est que, puisque je travaille à temps plein, je fais ça les soirs et les fins de semaine. Je relie beaucoup l’écriture à l’épuisement. Surtout le processus après l’écriture, qui mène à la parution du livre. Toute la semaine du lancement, c’était vraiment le fun, mais après, c’était là où j’étais le plus épuisée.»
Le métier d'écrivaine, à défaut d'être un gagne-pain, place devant un choix implacable : vivre dans la pauvreté et la précarité, ou encore l’exercer en plus de tout le reste, en surcharge. Et donc accepter l'épuisement mental et émotionnel comme état permanent.
Oh, mais le sentiment d’accomplissement, la réalisation, ça doit être quelque chose quand même de publier une œuvre, tout un jalon, non?, me demanderez-vous gentiment. Oui, mais reste que le coût humain est élevé et, aussi, confidence : ça ne rend pas tellement plus heureux·se.
À ce propos, dans un entrelacement un peu loufoque, j’ai envie de citer feu l’écrivain Jacques Poulin, que cite l’écrivaine Valérie Forgues dans son plus récent ouvrage — que j’ai très hâte de lire – et dont j’ai vu un extrait sur la page Facebook de l’écrivain Pierre-Luc Gagné (ouf!) :
«Dans l’un de ses romans, Jacques Poulin affirme que l’écriture ne le rend pas heureux, mais qu’elle l’aide à être moins malheureux.»
Je pense que c’est exactement ça. Je suis contente d’être tombée sur cette citation.
Valérie Forgues enchaîne: «Je ne suis pas tout à fait certaine qu’inventer des fictions est la meilleure route pour moi. La ligne fragmentée et instinctive de la mémoire me semble plus juste, même si je redoute les zones troubles qu’elle pourrait révéler des événements, de moi.»
J’ai presque crié quand j’ai lu ça, parce que c’est exactement ça. Pas que la fiction me rebute, après tout j’ai un roman jeunesse quasi final dans mes cartons, qu’il me reste juste à peaufiner. Mais c’est ce que j’ai fait avec Une détresse contrôlée : déterrer et mettre au jour des zones refoulées, douloureuses, à travers l’écriture d’une non-fiction.
Alors voilà, je sais pas trop où je m’en vais avec ça autrement que pour vous dire en toute candeur que si vous aimez la vie simple et bonne, écrivain·es n’est pas un sentier que je vous recommanderais, parce que, on s’en doute, ce n’est pas exactement le nirvana. Vous voilà averti·es.
PUR JUS
Je conclus avec une pure plogue pour le formidable podcast de la non moins brillante Daphné B, intitulé Choses sérieuses. ♥️
L’écoute de son tout nouveau diptyque d’épisodes portants sur les enjeux éthiques entourant les bourses de résidences d’écriture et la quasi-déification de l’idée de l’écrivain versus la minorisation de celle de l’écrivaine (entre autres) m’a procuré une sorte de ravissement tant il regorge de fulgurances mémorables.
Dans le premier épisode: «Il faut donc apprendre à être très vigilante quand on est une artiste; il faut apprendre à être chiante, et je dirais même chienne.»
Dans le second : «Je suis incertaine de pouvoir exister en tant qu’écrivaine dans le monde et dans l’institution littéraire. Ce que je rencontre quand je fais une résidence en Europe ou quand je vais en Belgique, ou encore à Paris en tant qu’écrivaine, en tant qu’autrice, en tant que poète, c’est surtout le patriarcat, l’ignorance, l’impérialisme européen et la xénophobie.»
J’aime quand, pleine de colère, elle ose crier: «Je me prends au sérieux!» lorsqu’accusée par des insignifiants de donner trop d’importance à l’écriture, aka sa raison de vivre. Ça prend du courage pour dire ça, quand on sait que les femmes sont toujours accusées d’être trop ceci ou trop cela. Elle la prend sa place, de force s’il le faut.
Une fois de plus, on peut compter sur elle pour crisser la hache dans le vernis hypocrite pseudo glamour recouvrant les injustices sévissant dans le milieu littéraire, loin, très loin des idées reçues sur celui-ci. Son regard est vif, terriblement franc et à propos. Elle a toute mon admiration et ma reconnaissance et pour ça.