Quelques mots sur... l’écriture (et l’inflation)
****Cette infolettre est une présentation de mon sentiment d’imposture, qui me crie à tue-tête: yo, ça intéresse qui c’tes shits là ?***
L’année a débuté en lionne. Toutes sortes d’affaires. Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, vous êtes au courant. Vous le savez peut-être même un peu trop ; faudrait que je slaque sur les annonces.
Pour les autres, un livre en février, en gagne, qui a trouvé écho, notamment.
À venir cet automne, un récit solo, très personnel, envoyé à mon éditrice le mois dernier. Manuscrit final, prêt pour la révision, parution en octobre, yé. Même qu’on a déjà l’illustration de couverture (et j’ai vraiment hâte de vous en reparler parce que je capote tellement c’est beau).
Ces jours-ci, j'en suis donc à finaliser un roman jeunesse qui, je l'espère, paraîtra l'année prochaine. Je suis embourbée dans le milieu du processus. Pas quand on commence à écrire, que l'histoire semble couler de source et qu'on avance à pas de géante. Pas l'étape bénie de la finalisation, quand tout tombe en place et qu'il ne reste que de petits fils qui dépassent à trancher d'un coup vif.
Non, je suis quelque part entre les deux, perdue dans le traboulidon.
C’est le bout le plus difficile : changer des trucs dans la narration (me semble qu’une focalisation interne fonctionnerait mieux…), l’ordre de certains chapitres ou sous-sections, m'assurer qu'il n'y a pas de trous à l'intrigue, de personnages inutiles (j’avais des plans pour l’une d’entre elles; finalement elle n’apparaît que trois fois…) ou de trucs laissés en suspens (coudons, on le revoit pu, lui ? Et celui-là, pourquoi il rencontre celle-ci juste rendu au chapitre 16 ; ç’a-tu du sens ?).
Croyez-le ou non, même avec une bible tenant sur plusieurs pages et un plan bien défini, je ne contrôle pas grand-chose, au final. C’est absolument un horrible cliché/lieu commun, mais crisse, c’est vrai que le récit semble m’échapper pour en faire à sa tête et les personnages tout autant. Bref, à ce stade-ci, j'ai plus l'impression de jouer à Tetris que de baigner dans la création «pure», bien que ça reste dans le domaine du jeu et que ça m'amuse tout de même un peu.
Reste que ça fait du bien de s’aérer, de varier les plaisirs avec la gratification que procure la rédaction de textes plus courts. Je pense que c'est entre autres pour ça que j'ai lancé cette infolettre. Ça, pis chialer. En plus, mon SPM vient de commencer et il est généralement intense. Ça vient avec beaucoup de tristesse et un indice de motivation à la baisse.
Pour sauver mon moral, je tente de m'éloigner des mauvaises nouvelles (les jours où je ne travaille pas au journal). Mais, guess what, t'as pas besoin d'écouter le bulletin à la radio pour savoir que l'inflation te rentre dedans pis que tu t'appauvris, t'as juste à aller au magasin.
Christie que c'est déprimant ! L'hiver 2023 a été le plus sombre depuis des années (le 3e le plus sombre depuis 1950!). Enfin arrivé·es au bout de ces semaines infernales, on est en manque de lumière, de soleil, de chaleur – sans compter le déficit en rapports humains accumulé depuis trois ans – et voilà qu'on est rendus pauvres, même quand on travaille ; on a de plus en plus de misère à boucler le budget, joie.
Je vous confierais donc que l'indice de créativité n’est pas exactement à la hausse, lui non plus.
D'habitude, quand c'est comme ça, je me réfugie dans les affaires de geeks ; j'écoute des podcasts qui parlent de films, puis j'en regarde en masse, des films, mon Letterboxd m’en est témoin. Mais on dirait que même ça ne vient pas à bout de mon spleen cette semaine.
Ça passera, tout passe.
Parfois, je suis si déprimée que, même si j'ai faim, je n'ai pas d'appétit. Je ne sais pas trop comment expliquer ça… Je veux dire, je sens bien que mon corps a faim, j’ai encore mes signes vitaux, mais manger me paraît comme une montagne. Je ne parle pas juste de préparer la nourriture, mais aussi de l'engloutir. Enfourner une bouchée après l'autre, c’est fucking épuisant.
Je n'ai pas faim, mais j'ai très soif. De quoi, je ne sais pas exactement, alors ça devient assez difficile à étancher. J’ignore si je peux encore aspirer à l'espoir. Ça me semble naïf. Peut-être que la tranquillité constitue un objectif plus raisonnable.
Oui, c'est ça, j'y reviens sans cesse, une véritable obsession. Je cherche la paix de l'esprit ou, comme il est écrit sur ce Post it collé sur mon ordinateur direct devant mes yeux pendant que je vous écris– une note griffonnée en urgence pendant ma dernière séance en ligne avec ma psychologue – je cherche à :
· ralentir
· m’ancrer dans ma création
· accepter l’ambivalence qui m’habite entre exister et me terrer
Sur ce dernier point, qui me fait honte, ma psy me dit que c'est normal d’éprouver des sentiments contradictoires, que c'est mon muscle qui travaille, s’exerce. Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris ce qu’elle voulait dire, mais juste de savoir que je ne suis pas complètement débile me rassure.
Ça me fait du bien de savoir que ça lui semble recevable de constamment tanguer entre vouloir exister et disparaître en dessous d'une roche pour l’éternité. Parce que moi, tout ce que je vois là-dedans, c’est deux désirs parfaitement contradictoires. Et qui se butent à mon penchant pour les raisonnements logiques, rationnels.
Je me souviens au cégep d’avoir été passionnée par l'éthique dans mes cours de philo… J’aime analyser les événements à l’aulne de la raison, recourir à des grilles d’analyses. Cette quête de sens bien concret et circonscrit (une absurdité quand on y pense) n'est sûrement pas étrangère au fait que j'ai ma vie d’adulte durant repoussé la création à plus tard.
« Plus tard » dans mon cas fut le milieu de vie, le moment de la crise éponyme. Ou, pour mieux le dire, le début de la quarantaine. Ça me semble plus inspirant de parler du début de quelque chose. C’est à la fois porteur d'espoir, mais aussi de désillusion potentielle. On ne s’en sort pas.
Réflexe de survie, donc, je m’accroche à ce que je connais, l’écriture. Même jeune journaliste, lorsque je rendais des papiers approximatifs, j’écrivais. Des années plus tard, lorsque je courais les écrapous ou que je pondais des dépêches télégraphiques en agence, j’écrivais. J’ai pratiqué pas mal toutes les formes d’écritures en fait, incluant des publireportages et des discours politiques...
Ces jours-ci, on dirait que je dépends de l’écriture. Je m’y accroche comme le berger à son cheptel. Le réel m’attriste. J'ignore si j'ai besoin de vacances ou de printemps. Espérerons que le changement de saison suffira. C'est pas mal tout ce que je suis en mesure de me permettre.
(MAGNIFIQUE PHOTO DE CROCUS PAR MON AMIE NATALIE-ANN ROY)
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Autrice, éditrice et journaliste, Marilyse Hamelin a publié, dirigé et pris part à plusieurs ouvrages. Son premier roman, un livre illustré pour les adultes, est paru chez Hamac en 2021 sous le titre Quelques jours avec moi.