Quelques mots sur... le self-care et le nombrilisme
Allô. J’aimerais attirer votre attention sur un article intitulé Is Therapy-Speak Making Us Selfish? vu en story chez l’amie Sophie et qui aborde, comme son titre l’indique, les excès langagiers et autres détournements conceptuels et pratiques du vocabulaire cher à la psychothérapie.
Tsé, tout le monde aime ça le self care, mais mettons que l’article met en lumière quelques écueils et suggère un certain retour du balancier.
D'abord, vous dire que je plaide coupable, je souscris à fond à cette tendance du prendre soin de soi et, d’ailleurs, je prends justement part à une psychothérapie depuis près de trois ans afin de lutter contre mon anxiété et mon manque d’estime de moi (je suis une ex-people pleaser).
J’apprends à tâtons et souvent fort maladroitement à mettre mes limites, en gros. Et si je continue de penser que l’entreprise est valable, je sais aussi qu’en tout l’excès engendre l’insignifiance et qu’il y en a toujours des zélés pour pousser trop loin toute bonne idée.
C’est le cas de certains exemples savoureux dans l'article. En voici un [traduction à gogo pour celleux qui ne lisent pas l'anglais]:
Lucy*, âgé·e de 29 ans et vivant dans le Kentucky, avait un·e ami·e qui lui imposait à répétition ses volontés au nom du self care. « Lorsque nous prévoyions des activités, iel les modifiait le jour d'avant, unilatéralement, et si j'osais proposer un quelconque ajustement, alors iel rétorquait comme une fin de non-recevoir que nous allions faire ladite activité à l’heure et à l’endroit indiqué, ajoutant qu’iel posait ainsi ses limites. »
Parlez-moi de ça, de la belle affirmation de soi très saine et sensée… Rendue là, pourquoi je me refuserais de visionner un film avec le volume au maximum à 2h du matin sans me soucier des voisins… Ben quoi ? Je prends soin de mon enfant intérieur, qui aime écouter la télé fort…
Une autre situation racontée dans l'article : une jeune femme dans la trentaine organise un souper au restaurant pour son anniversaire et invite trois de ses ami·es. Une des personnes invitées se présente avec 25 mins de retard. L’organisatrice trouve ça chiant, mais n'en fait pas trop de cas et se montre tout de même chaleureuse et amicale.
La soirée se termine après un dernier verre dans un bar puis, vers minuit, le téléphone de la fêtée sonne. C’est la retardataire, qui tient à la confronter avant de se mettre au lit (pour passer une bonne nuit, je suppose). Elle lui fait des reproches, lui affirme ne pas s’être sentie aimée ni en sécurité autour d'elle ce soir. D’abord étonnée, la fêtée raccroche en pleurs, se sentant comme «une merde».
Je ne sais pas vous, mais il me semble qu’il y a des claques qui se perdent…
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Je n'ai jamais été confrontée à des situations aussi extrêmes, mais l'article met néanmoins le doigt sur un phénomène que j'ai moi-même constaté et qui m'agace, c'est-à-dire le moment là où le self care commence à avoir le dos large en titi et où le respect de soi devient pas mal l'irrespect des autres…
Il arrive que la fameuse «limite» que l’on tente de poser, sorte de ligne de partage des eaux, soit vraiment mal tracée, et même carrément distordue. Je pense à une amie, ou ancienne amie devrais-je dire, qui m'avait intimé au plus creux de la crise de la COVID-19 de cesser d'en parler dans mes stories sur Instagram, car cela la chagrinait ; ou au moins d’apposer un trigger warning sur lesdites stories.
Tout cela alors que, bon sang, rien ne la forçait à consulter le contenu très personnel de ces publications éphémères, dans lesquelles je me permettais d’extérioriser mes craintes et inquiétudes, un peu comme une soupape…
J’erre peut-être, vous me direz ce que vous en pensez, mais il m’apparaît tout de même étrange de demander à une personne de modifier le contenu de ce qu'elle publie sur les réseaux sociaux – à moins bien sûr qu’elle propage de la désinformation, du complotisme, de la propagande haineuse ou des propos discriminatoires – , pour la simple raison que cela nous déplait.
Aux dernières nouvelles, il est encore tout à fait possible de passer son chemin en skippant les stories d’autrui, et même de mettre cette personne qui nous irrite tant (et ses publications) en sourdine pour quelque temps. Tout cela d’ailleurs sans qu’il ne soit nécessaire de prévenir la principale intéressée...
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Au-delà de ces «drôleries», si je puis m'exprimer ainsi, reste que l'article touche à un problème de fond, extrêmement complexe, que je n'arrive pas à trancher aisément d'un côté comme de l'autre.
Car s’il importe de prendre soin des gens qu'on aime et qu'il ne faut pas sombrer dans l’excès d’introspection en perdant de vue leurs sentiments et besoins (et ainsi devenir d’affreux nombrils tels que dépeints dans l’article), l’idée de trouver la bonne mesure demeure.
Parce que j’ai TELLEMENT vu de femmes (oui, oui, particulièrement elles, question de socialisation) s'oublier, tout donner et se vider. Ne jamais décevoir les attentes est une impossibilité, un faux idéal impossible à rencontrer. Et pourtant, on se brûle, se brûle et se brûle encore.
Alors, lorsqu’on s'est grillé les ailes à répétition, peut-être que ce n’est pas siiii facile d’éviter l'excès inverse lorsqu’on décide enfin de mettre des «maudites limites» pour prendre soin de soi ?
Et puis il y a des périodes de nos vies où ça devient quasi impossible de concilier ses propres besoins affectifs avec ceux des autres... Par exemple, en ce moment, je suis hyper occupée et j’essaie néanmoins (encore !) de tout accomplir à la perfection (pas nécessairement dans cet ordre) :
· être aux petits soins avec toustes mes auteurices à la maison d’édition ;
· ne jamais laisser passer une seule erreur dans la somme d’articles que j'édite chaque quart de travail au journal ;
· m'impliquer dans ma coopérative d'habitation ;
· m'entraîner au centre communautaire 2-3 fois par semaine ;
· mener mes activités d’écriture comme autrice ;
· passer du bon temps avec mon amoureux, ma famille, mes ami·es ;
· réobtenir mon permis de conduire d’ici la fin de l’année ;
· perfectionner mon anglais une fois pour toutes ;
· alouettes !
On s’entend que c’est pas super réaliste tout ça… Et que les probabilités sont fortes pour que je n'arrive pas à mener tout ça de front, ou du moins pas exactement comme je le voudrais. En cours de route, je risque d’annuler bien des sorties, disparaître de la circulation des ti bouttes et frustrer et peiner des gens.
Mais alors, au lieu d’exiger une free ride de leur part et de me sentir incomprise si je ne l’obtiens pas, au lieu de déplorer leur manque de souplesse ou «d’amour» (comme les nombrils de l’article), je pourrais peut-être prêter une oreille plus ouverte et compatissante à leurs doléances ?
Parce que c'est ça aussi exister assez longtemps pour comprendre qu'il n'y a pas qu'une seule vérité et que, bien souvent, deux personnes dont les perceptions s'opposent peuvent avoir raison toutes les deux en même temps.
Je pourrais ainsi compatir avec les personnes chez qui j’engendre de la déception, de la tristesse ou de la frustration tout en compatissant avec moi, qui, after all, ne fais que mon mieux possible. Ouais, je crois que les deux peuvent exister concomitamment.
Mon «ancienne amie» avait sûrement ses raisons de se sentir à fleur de peau et agacée par moi durant la pandémie ; peut-être que j'aurais pu faire preuve de davantage d’ouverture, de patience et de compassion, et ce, même si je trouvais son raisonnement plutôt étrange et même, disons-le, franchement idiot.
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Ces réflexions à la suite de la lecture de l'article s'inscrivent tout à fait dans le cheminement que j’ai enclenché ces dernières années, quelque chose comme une volonté de me montrer moins carrée, moins tranchée dans mes opinions, quelles qu’elles soient.
Parfois, je me dis que dans certaines situations, il faudrait non seulement agree to disagree, mais aussi accepter d'être en accord et en désaccord avec soi-même, en même temps. Du genre, je trouve ça cave, mais si j’en avais manqué un bout ?
Il me semble que ce serait laisser plus de place et de jeu à l'autre, être plus accueillante. Sans toutefois retomber dans mes vieilles bottines et tenter de plaire à tout le monde en niant mes propres besoins. Ouf, tout un chantier…
Disons alors que j’aimerais, le plus souvent possible, tenter d’opter pour le doute ; que les seules situations où celui-ci n’a pas sa place dans ma tête soient les cas d’injustice flagrante et de stigmatisation déplorable de citoyen·es. Là, sur twitter et ailleurs, attention, je mords !
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Je me demande si ces envies de magnanimité résultent de l'influence qu'a eu chez moi le congé pascal (aimez-vous les uns les autres bordel de merde et tout le tra la la charitable…).
En tout cas, contrairement à François Legault et sa bande, je ne fais pas semblant d'être laïque un jour pour le lendemain louer mes origines religieuses et culturelles. Je ne fais que constater le fait que ces origines sont indubitables.
Et j’évite de me dire que c'est bien ou que c'est mal, je ne le les embrasse ni les rejette. Cela est en moi, imprimé dans ma psyché (alors que je n’avais rien demandé, hein !), et donc plutôt hors de mon contrôle. Alors surtout je m’abstiens de laisser entendre qu'une religion est meilleure qu'une autre, ou qu'il est supérieur moralement de ne pas être religieux (ou encore de l'être).
À mon sens, ce «vieux fond catholique» (ou plus largement chrétien) – dégoulinant de traumas collectifs et individuels, que le premier ministre québécois célèbre néanmoins –, eh bien, dans un monde idéal, il aurait servi à propager une seule chose : l'humilité.
Ça sent bon dans ma cuisine… (C’est juste une sauce bancale à la chaire de «soucisses».)